Réfugiée de guerre : de la Syrie à Bordeaux

Ma chère sœur Haya,

 

Cela fait un moment que je veux te donner des nouvelles mais voilà maintenant plus d’un an que je n’ai pas eu de situation assez stable pour le faire. Ma dernière lettre remonte donc à très longtemps. Aujourd’hui, tu vas pouvoir le constater par cette lettre, je suis enfin en sécurité. J’ai été accueillie et logée par un organisme aidant les réfugiés de guerre, et moi et mon fils Adar sommes donc en colocation avec une autre famille dans un petit appartement aux alentours de Bordeaux. Par chance la famille qui loge avec nous n’est pas une famille nombreuse. Il s’agit d’un homme, de sa femme et de leurs deux enfants ; ils viennent également de Syrie mais ne sont pas de la même région que nous.

Tu devrais voir comment les enfants s’amusent bien ensemble ! La petite fille va avoir neuf ans et le petit garçon a un an de plus qu’Adar. Ce dernier a aussi beaucoup grandi pendant ce périple. Quand nous sommes partis, il venait d’avoir trois ans et pouvait à peine marcher correctement ou tenir une conversation. Maintenant il a cinq ans et demi, il court, saute et bouge dans tous les sens et il passe son temps à nous raconter des histoires.

Pour ce qui est du périple, je ne t’en ai toujours pas parlé mais il est temps de le faire. Après m’être enfuie, moi, Adar et Tarek avons marché avec un autre homme pendant une semaine pour enfin arriver sur le littoral mais sans l’homme qui nous accompagnait. Il s’était arrêté avant nous. Après ça, nous avons dû attendre quelques jours pour finalement monter dans un bateau avec douze autres personnes, il devait nous amener en Grèce. Cependant au cours du trajet nous avons appris que les côtes grecques étaient sous hautes protections et qu’ils n’acceptaient personne. Nous avons donc dû changer de cap et partir vers l’Italie, tout ceci nous a pris environ trois semaines.

 

Mais tu as sûrement dû remarquer que je ne parle pas du tout de notre frère Tarek… Et bien il est décédé environ un mois après notre départ de Syrie lorsque nous avons pris le bateau. Il était exténué, affamé et n’a pas survécu… Je ne te l’ai pas dit lors de mes deux premières lettres parce que je ne savais pas comment, ou plutôt n’osais pas te l’annoncer… Il me manque énormément et pas un seul jour ne passe sans que je ne prie pour lui. Il a poussé son dernier souffle seulement quelques centaines de mètres avant les côtes italiennes. Là-bas je n’ai même pas eu le temps de l’embrasser une dernière fois que j’étais déjà emmenée par les forces de l’ordre italiennes dans les files de répartitions. Tout s’est passé très vite. Je ne comprenais pas ce qu’ils me disaient, les gens nous regardaient comme des êtres venus d’ailleurs, tout était très rapide et tout ce à quoi je pouvais penser était mon fils que je serrais très fort dans mes bras, refusant de le lâcher, et notre frère, laissé seul dans le bateau avec les autres n’ayant pas non plus survécus. Quelques heures plus tard j’étais déjà dans un camion en direction du Nord de l’Italie. Ce fut un trajet très long avec de nombreuses pauses. Dans le camion il faisait très chaud et nous étions je pense une trentaine. Nous étions tous confus, fatigués, apeurés, mais ce dont je me souviendrais toujours c’est la solidarité et la compassion que nous avions les uns envers les autres. Nous ne venions pas du même pays, ne parlions pas la même langue, nous étions des inconnus pour chacun, mais ce sentiment de réconfort était présent. Après quelques jours de route, nous sommes enfin arrivés dans une ville dont je n’ai pu comprendre le nom. Peu de temps après, nous avons été dirigés vers une sorte de camp avec de grandes tentes en toiles dans lesquelles dormaient d’autres réfugiés. Nous nous sentions délaissés, personnes ne s’occupait de nous mais nous étions à l’abri, à l’abri de la guerre et c’est tout ce qui importait. Nous sommes restés presque deux mois là bas et finalement, un matin, deux policiers sont venus nous chercher et nous ont annoncés que nous avons été choisis pour partir avec deux autres groupes de migrants en direction de la France. J’étais stressée et excitée à la fois ; stressée car je ne savais pas à quoi m’attendre, allais-je me retrouver de nouveau en camp ? Et excitée aussi car j’espérais y trouver peut-être une vie meilleure et découvrir une nouvelle culture et de nouveaux paysages car en Italie, les seules choses que j’ai vues étaient les camions de déplacements et les camps de réfugiés où nous étions logés.

En France, j’ai été séparée des gens avec qui j’étais depuis l’Italie sauf de mon fils bien évidemment, puis j’ai été emmenée à trois endroits différents. Le premier arrêt était dans l’est de la France mais je ne parlais pas encore bien anglais ou français pour comprendre le nom de la ville. J’ai dû y rester un peu moins d’un mois et là bas nos conditions de vie étaient un peu meilleures qu’en Italie car nous étions mieux nourris et surtout nous étions logés dans ce qui semblait être un gymnase je pense et c’était donc bien plus sain. Là-bas j’ai pu apprendre quelques mots de français comme « bonjour, merci » et autres politesses.

Ensuite une centaine d’entre nous, moi comprise, avons été dirigés vers Calais. Je me souviens du nom car c’était visiblement très réputés dans l’accueil des migrants comme nous et je l’ai beaucoup entendu. Mais n’entendant que le nom et ne comprenant pas ce qui se disait par ailleurs, je pensais que c’était un bon endroit pour l’intégration, un endroit où la solidarité primait… Mais ça n’était pas du tout le cas. Certes, c’était réputé pour être un des plus gros endroits d’accueil de réfugiés en France, mais les conditions de vie étaient inhumaines ! Nous dormions à même le sol dans des tentes inondées, les habitants nous toisaient et nous pointaient du doigt et les autorités n’étaient pas du tout coopératives. L’ambiance là-bas était tout simplement invivable… Je ne voulais pas ça pour mon enfant, je voulais qu’il grandisse dans un environnement sain et structuré mais pas dans un dépotoir. J’ai beaucoup espéré pendant un moment mais les semaines passaient et devenaient ensuite des mois. J’ai donc cessé de croire et ai accepté mon sort. Cependant nous avions tout de même quelques cours de français qui m’ont été fortement bénéfiques car grâce à cela j’ai pu apprendre à m’exprimer correctement en français.

J’ai du passé deux mois là-bas, probablement les plus longs de ma vie pour que finalement, un jour, une femme est venue et nous a évalué sur notre niveau de français pour voir qui était apte à commencer une véritable intégration et la langue était une des conditions majeures à une intégration réussie. Après une attente d’une semaine, j’ai finalement reçu une réponse positive ! C’est donc à ce moment là que j’ai quitté toute l’insalubrité de la « jungle de Calais » comme ils l’appellent pour partir vers Bordeaux où j’ai été prise en charge par une association.

À mon arrivée, les membres de l’association n’avaient pas encore trouvé de logement où je pourrais m’installer avec Adar, du coup, pendant un peu plus d’un mois j’ai habité chez l’une des membres, Caroline. Elle était vraiment très gentille et accueillante. Elle m’a même donné des cours particuliers de français et m’a aidée à trouver des stages et des cours d’éducation civique pour que je m’intègre encore mieux.

C’est vraiment un pays très ouvert aux autres et chaleureux. Je ne regrette absolument pas d’être venue. Malgré un début difficile, je sens que je commence à m’adapter à ce nouveau mode de vie et j’aime ça. Mon fils grandi dans un environnement sain comme je le souhaitais et après un deux mois d’adaptation à Bordeaux j’ai enfin un logement et presque un travail. Il faut juste que je reçoive ma carte de séjour et je pourrai commencer à travailler. La société dans laquelle j’ai fait des stages en comptabilité me trouve très compétente et son dirigeant m’a réservé une place au sein de son effectif. Ce dont je rêve maintenant, c’est de te faire venir toi et tes deux filles, pour que nous visions à proximité l’une de l’autre.

 

Après avoir lu ma lettre, tu as dû comprendre qu’il m’a fallu beaucoup de courage et de détermination pour me faire accepter et combattre le rejet des autres. Énormément de personnes se montrent hostiles et montrent une peur envers les étrangers ou une culture différente. Je trouve cela ridicule et au contraire je trouve que nous amenons, par l’apport de notre culture, une véritable diversité au pays accueillant. Cela crée une ouverture d’esprit et une certaine tolérance envers autrui. Cela amène souvent à la naissance de nations comme par exemple les États-Unis étant, à la base, constitués de migrants qui fuyaient de la discrimination ou des persécutions aux quelles ils étaient confrontés ou encore à la recherche de nouveaux horizons. L’échange de culture apporte donc un enrichissement culturel qui favorise l’altruisme et la paix et transmet de la bienveillance, du partage et de la tolérance bons au développement d’un pays.

Je tiens également à démentir le fait que la plupart des gens pensent que nous ne souhaitons en aucun cas nous intégrer et juste profiter de l’État. C’est totalement faux. Ces personnes là ne savent pas et ne cherchent pas à comprendre ce qui nous a poussé à migrer. Ils ne comprennent pas les atrocités que l’on a pu vivre et que l’on ne quitte pas son pays par choix mais par survie. Nous désertons notre terre natale pour ce qui nous semblent être meilleur, pour recommencer une nouvelle vie et chercher à s’intégrer. C’est donc pour cela que je pense que les migrants sont également actifs dans l’enrichissement économique par l’apport de main d’œuvre dans des tâches que les autres ne feront pas. C’est en quelque sorte pour combler les trous. D’après l’article provenant du Monde, publié le 10 septembre 2015,  « Aucun économiste n’a jamais réussi à démontrer un lien évident entre immigration et chômage », affirme Thibault Gajdos, chercheur au CNRS, « et quand il y a un lien, il est positif pour le marché de l’emploi ». Sur une longue période, l’immigration est considérée comme un facteur positif pour la croissance économique et les finances publiques, indépendamment de la situation démographique ». 

Tout ceci n’est que mon point de vue mais j’espère que le monde va commencer à s’en rendre compte et à nous accepter tels que nous sommes : travailleur et ambitieux.

 

J’ai hâte de recevoir ta réponse et de savoir si tu pourras bientôt me rejoindre, en espérant que cela soit dans l’année ! Je t’aime très fort.

 

Ta sœur adorée, Shayla

 

Jeanne P., 1L1