Akhtar, de l’Afghanistan à la France

                                                                                                        Montauban, le 20 février 2017

Ma petite Maman,

        Je peux enfin t’écrire, cela fait si longtemps depuis mon départ que je n’ai pas tenu un stylo pour te dire que tout va bien et que je suis arrivé en France. Ce n’était pas la destination que j’avais choisi, rappelle-toi combien j’avais rêvé de l’Angleterre afin de pouvoir rejoindre Oncle Dawod. Mais la vie en a décidé autrement et finalement ce n’est pas plus mal.

         Quand j’ai quitté l’Afghanistan pour une vie meilleure loin des attaques des talibans, c’est toi qui m’a donné cette force de ne pas trop regarder en arrière. Mon cœur se serrait en pensant à tout ce que je laissais derrière moi, mes frères et sœurs, mon père qui pensait que j’aurais dû me battre pour ma patrie et rester à Baghlan. Ici ce village ne dit rien à personne, alors je dis que je viens de Kaboul.

         Partir c’est commencer un interminable périple d’environ dix mille kilomètres qui a duré un an, avec pour seul papier mon tazkira, ici ils disent « pièce d’identité » qu’ils vérifient sans cesse. Tu dois te demander comment j’ai réussi à rester vivant et je dois dire que l’argent que tu m’avais donné m’a bien aidé. Ma première étape a été de me rendre à Peshawar au Pakistan en train. Puis j’ai fait douze jours de voiture avec des passeurs pour gagner l’Iran. Contacter un passeur, c’est négocier pendant des heures, convenir d’un tarif. J’ai dépensé quatre mille cinq cents dollars sans garantie de sécurité et j’avais peur de ne plus avoir assez d’argent pour aller jusqu’au bout du voyage. Ensuite d’autres passeurs m’ont emmené à pied jusqu’en Turquie. Sur le parcours, il fallait se méfier des mines et certains de mes camarades de marche ont été déchiquetés. J’ai tremblé de tous mes membres quand il a fallu éviter la rébellion kurde et ses combattants qui auraient pu tous nous tuer. Arrivé enfin à Istanbul, j’ai pris un bateau pour une île grecque, on était vingt-huit sur un pneumatique, une folie mais il fallait partir coûte que coûte. Je mentais tout le temps et essayais de me faire passer pour un touriste mais personne n’était dupe. Je devais bien souvent fuir la police à toutes jambes et je ne me sentais plus un homme mais un animal traqué. Puis je suis monté au hasard dans un camion qui se rendait en Italie et pendant trente -six heures le voyage m’a paru interminable. J’ai enfin pris un train à partir de Rome et je suis arrivé à Paris. Là, j’ai rencontré des afghans et entendre ma langue m’a fait du bien. Pourtant j’ai découvert leur misère, des hommes abandonnés à leur sort qui ne savent même plus pourquoi ils sont là. J’ai repris la route pour Calais, voulant à tout prix gagner l’Angleterre.

J’ai été dirigé vers un centre d’accueil et je ne savais qu’une chose : j’allais pouvoir manger et me reposer. Ce que je découvre alors me donne encore des frissons. Une sorte de ville avec des abris de fortune, des rues boueuses, un bidonville amélioré où tout le monde se méfie les uns des autres et des communautés différentes qui se heurtent sans cesse. L’image que j’avais de la France se ternissait. Les conditions de vie difficiles malgré les quelques couvertures distribuées et les repas chauds renforçaient mon espoir de m’échapper vers l’Angleterre. Les nuits, mes camarades et moi, on les passait à guetter les camions et on risquait notre vie pour essayer de grimper dedans car l’administration britannique ne veut pas de ces migrants toujours plus nombreux chaque jour qui grossissent cet endroit appelé « jungle ». Moi, j’appellerais cela l’enfer et mon pays me manquait alors cruellement. J’y suis resté un an.

Pourtant ici, des associations essayaient de nous aider, des artistes venaient même dénoncer l’impuissance des pouvoirs publics et le sourire, la main tendue des bénévoles réchauffaient le cœur.

Puis, comme je suis mineur (ils m’ont fait une radio du poignet pour vérifier), j’ai été dirigé vers un centre d’accueil dans le sud de la France, un endroit chaleureux plutôt apaisant de Montauban d’où je t’écris aujourd’hui. On est encadré par des éducateurs, des traducteurs qui nous soutiennent et nous écoutent. J’ai une chambre partagée avec mon ami Masakhan. On fait du sport, on a des cours d’alphabétisation. J’ai compris que parler la langue française est le meilleur moyen de m’intégrer, alors je progresse. Tu vois, on s’occupe bien de moi ici. Je peux aller à la mosquée chaque vendredi et je reprends goût à la vie. Je dors toujours très peu mais grâce au collectif qui m’entoure, je m’adapte. Je découvre un peuple que je ne connaissais pas. Leurs visages sont plus fermés que chez nous, leurs familles sont moins grandes, ils parlent peu mais leur cœur est ouvert même si la méfiance se lit encore parfois dans leurs yeux.

Leur thé n’est pas si bon qu’à la maison mais il fait du bien quand on se regroupe pour chanter les refrains du pays ou pour parler de l’Afghanistan. Je n’ai plus peur de mourir, on me respecte. L’opinion est libre et les communautés cohabitent sans problème, les gens en difficultés sont aidés, les enfants vont tous à l’école. Les français sont souvent râleurs, pas très joyeux, toujours pressés. Les femmes ne dépendent pas de leurs époux et je crois même qu’elles les dirigent bien souvent ! Je me sens à l’aise dans cette région. On m’a expliqué que ma demande d’asile a été acceptée. Je n’ai plus l’image négative que renvoyait Calais de la France et je pense que je vais rester dans ce pays d’accueil qui fait tout pour que mon avenir soit meilleur.

Je ne regrette rien mais je suis nostalgique quand je repense à ta douceur et à nos moments ensemble. J’ai changé même physiquement et dans mes yeux, maman, il n’y a plus cette étincelle d’espoir que j’avais en partant. Mais j’ai du courage et l’envie que vous soyez fiers de moi.

                     De tout ce que j’ai vécu, je retiens une leçon de vie que je veux transmettre à ceux qui partiront un jour comme moi de leur pays et à ceux qui les recevront, les aideront à s’intégrer.

                       La tolérance n’est pas un vain mot. Les migrants qui arrivent sur un sol étranger sont déracinés, meurtris dans leur chair et psychologiquement. Ils ont besoin d’une main tendue.    Ils la trouvent parfois mais le plus souvent ils sont rejetés, à cause de leur différence. Le racisme ouvre la voie à la haine. Le mépris, je l’ai rencontré. Le discours des calaisiens empli de clichés et de méconnaissance, je l’ai entendu. J’ai vu dans leurs yeux la peur, celle qui entraîne l’intolérance, celle qui est notre ennemie car elle empêche de voir ce qui est bon en l’autre et fait ressortir tout ce qui est incompatible. Moi-même, j’ai éprouvé du rejet pour cette culture qui n’était pas la mienne, les préjugés sont des deux côtés et je ne savais pas comment me comporter. J’avais peur que les français me transforment et me fassent oublier mes racines. Mais une autre culture n’efface pas d’où l’on vient. Il faut gommer tout ce qui est sujet de discorde, avoir un autre regard et suivre l’exemple de grands écrivains comme Voltaire qui dénonçait déjà au siècle des Lumières l’intolérance dans sa « Prière à Dieu », ou bien avant lui Montaigne ou Montesquieu qui s’ouvraient aux autres cultures. On les appelle les humanistes et le mot m’a paru tellement beau que je l’ai retenu. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen contient aussi deux articles 10 et 11 qui soulignent que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses et qu’on peut librement penser. A notre époque, cela fait réfléchir car que ce soit dans mon pays ou ici, l’actualité prouve qu’il faut encore agir pour que ce soit vrai.

                     Cette peur, qui entraîne l’intolérance ne peut être combattue que par la connaissance de l’autre. C’est l’ignorance qui répand ce mal. Les uns et les autres, dans les cours d’alphabétisation, on apprend les coutumes, la culture de ceux qu’on découvre. En se rencontrant et en dialoguant, tous les clichés tombent. Il n’y a plus de barrière et des amitiés peuvent se nouer. Il faut chasser l’indifférence et être sensible à l’autre. De nombreux intellectuels soulignent qu’il est nécessaire de semer l’entraide et la bienveillance pour que les hommes soient solidaires et à l’écoute les uns des autres. J’admire aussi ces bénévoles des associations qui donnent de leur temps pour pouvoir insérer, épauler les migrants perdus sur une terre inconnue. Ils reconnaissent alors qu’accepter l’autre sans renier ses différences est essentiel. Respecter les coutumes de celui qui vient d’ailleurs parce qu’on a appris de lui et en retour lui donner l’envie de découvrir sa terre d’accueil. Combien de guerres seraient évitées si les peuples se connaissaient mieux ?

                         Si la tolérance s’applique, si la connaissance de l’autre grandit, on peut découvrir que le « vivre ensemble » est possible et qu’il est bénéfique tant sur le plan individuel que collectif. L’attitude altruiste, bienveillante a un effet positif sur tous et l’humanisme prend alors tout son sens. Beaucoup diront que c’est une utopie mais pourtant le partage mutuel de moments de vie enrichit et fait grandir. D’ailleurs, dès l’école il faut inculquer cette vision des choses. L’empathie, l’envie de soulager l’autre, d’écouter sa souffrance permet de vivre en harmonie et donc d’accéder aussi à une forme de quiétude personnelle. Mathieu Ricard au monastère de Scherchen au Népal a conduit cent trente projets humanitaires, les Restos du Cœur, ATD Quart Monde, Médecin du monde sauvent chaque jour tant d’hommes et de femmes sur terre.  N’est-ce pas formidable de prendre l’autre en compte dans notre manière d’exister ? L’altruisme fait du bien à celui qui le pratique. Les journalistes à Calais qui ont contribués à dénoncer la misère, les intellectuels qui prennent le relais peuvent être fiers d’eux car ils ont entendu ceux que personne n’écoutait. J’aime ces hommes et ces femmes qui s’investissent, aident et s’enrichissent aussi de ce que l’autre peut lui apporter. Leur vie a un sens et ils contribuent à faire de ce pays un endroit où il fait bon vivre, où chacun peut s’exprimer librement. Les peuples se côtoient et cette société multiculturelle est porteuse d’espérance. Il faut saluer des initiatives comme celles de « Fraternité Générale » mouvement né après les attentats de Paris, qui met en valeur la nécessité de retrouver notre générosité. Le chemin vers l’autre commence à la porte de chacune de nos maisons, des écoles, des lieux de culte. Les couples mixtes qui se forment sont aussi vraiment le symbole de ce qu’on peut vivre en mélangeant nos cultures.

Le rejet, la méfiance peuvent resurgir à tous moments dans mes propres yeux posés sur la différence. Je vais faire en sorte de rester vigilant afin que la tolérance m’éclaire et que l’altruisme me guide. C’est mon parcours qui m’a ouvert le cœur sur le monde.

 Tu vois, Maman, ton fils a changé et mûri. Pourtant au fond, tout ce que je viens de dire, tu me l’avais déjà enseigné, j’avais en grandissant tout simplement oublié.

                                                                                     Ton Akhtar qui t’aime toujours autant

 

Romain R., 1L1

 

Sources documentaires :

Wikipédia    https://www.google.fr/webhp?ie=utf-8&oe=utf-8&client=firefox-      b&gfe_rd=cr&ei=Nob_WPflNI7UXo29r

L’express      http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/l-accueil-des-migrants_1713927.html

Les échos         https://www.lesechos.fr/29/06/2017/lesechos.fr/030417560290_la-france–cinquieme-destination-des-migrants.htm

France terre d’asile    http://www.france-terre-asile.org

La culture générale     http://www.laculturegenerale.com/puissent-tous-les-hommes-se-souvenir-quils-sont-freres-la-priere-a-dieu-de-voltaire/

Anastasia Svoboda   Article de VSD « Ma vie de réfugié en France »    26/01 au 01/02/2017