Fuir le régime communiste : Nguyet Anh, du Vietnam à la Paris

Paris,1979

Ma chère amie,

                Voilà maintenant cinq mois que ma petite sœur, notre père et moi-même sommes arrivés à Paris. Comme tu le sais, nous devions fuir le Vietnam rongé par le communisme. Et, pour échapper à cette pression du gouvernement et nos manques de libertés, nous avons décidés de reconstruire notre vie en France. Père avait déjà choisi ce pays car nous en connaissions la langue, notre pays étant francophone. Mais malgré nos connaissances, nous ne savions rien sur ce pays, ses coutumes, et je ne pouvais m’empêcher d’être nerveuse à l’idée de partir vers l’inconnu. Cependant, il fallait garder face, et je ne devais rien laisser paraître surtout devant ma sœur Anh, tu sais, elle n’a que six ans, pour elle s’enfuir c’était comme un jeu au début. Nous sommes donc montés à bord d’un bateau de pêcheur que nous avions acheté préalablement, puis pendant la nuit, avec deux autres bateaux remplis de familles qui comme nous désiraient partir d’ici, nous avons fuis. La traversée était violente, notre bateau faillit chavirer de nombreuses fois faute des vagues immenses qui régnaient la nuit sur l’océan. Je me souviens mettre accrocher à père et Anh pendant des jours et des jours, jusqu’à ce qu’on aperçoive enfin, au petit matin, les côtes françaises. J’étais euphorique, notre calvaire touchait à sa fin. J’ai aperçu au loin un bateau qui, selon Anh, semblait être des secours, et soudain je m’évanouis.

                Je me suis réveillée plusieurs heures après, dans un aéroport. Père m’informait sur la situation. Apparemment je ne fis dans le bateau qu’une simple perte de conscience due à mon manque de sommeil et de nourriture, les secouristes pensèrent crût à une maladie contagieuse alors les autorités nous mis en quarantaine et une zone sur la plage fut délimitée pendant que des médecins nous examinaient, un à un. On nous a regardés d’un mauvais œil comme si nous leur apportions la peste. Certains se croyaient prisonniers, il y a eu de la pagaille avec les forces de l’ordre et certains habitants hurlaient aux autorités de nous ramener chez nous. J’étais rouge de honte en entendant les paroles de mon père, je m’en voulais de l’avoir embarrassé ainsi, lui et le reste des passagers des bateaux. Tout ça à cause d’un simple évanouissement ! Je me sentais stupide. Il continua ses explications, après que le malentendu soit passé, la police se sentait à présent responsable de nous et ils nous ont aider à parvenir jusqu’à la capitale sans incident. “On ne peut pas leur en vouloir” m’a dit mon père. “Après tout, ces habitants avaient juste pris peur.”. A peine eu-je le temps de m’excuser qu’il continua, il nous dit, qu’à partir de maintenant, il ne voulait plus nous entendre parler vietnamien en public. Et ni Anh, ni moi, n’osèrent le contredire.

                Plus tard en quittant l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle j’appris que ce matin même, une jeune femme de vingt et un ans portant le même nom que ma sœur, fût accueillie par un certain monsieur Chirac qui est le maire actuel de Paris et l’ancien premier ministre ! Même si je ne comprends encore rien à cette politique française, je sais que c’est quelqu’un d’important et si des hommes importants se préoccupent de nous, tout ira pour le mieux. Nous fûmes accueillis dans un DADA c’est à dire, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, et grâce à notre statut de “réfugiés” nous avons obtenu une carte de résident de dix ans qui nous donne de nombreux droits au même titre qu’un français, notamment exercer un travail ce que père a rapidement cherché à faire en plus de demander à acquérir la nationalité française. Nous sommes restés un mois dans ce foyer, père voulait d’abord quitter Paris, car d’après les rumeurs il y avait de nombreuses offres d’emplois en province. Mais un lycée parisien, nommée Saint Jean de Montmartre, était à la recherche de deux professeurs de philosophie : mon père ayant obtenu un doctorat en philosophie au Vietnam, s’est présenté pour un entretien. Il a été déçu d’apprendre que son diplôme vietnamien équivalait en France à une licence.  « C’est quand même bien », m’a dit père, « mais c’est tout de même frustrant » alors il compte repasser des épreuves. La semaine après l’entretien, le lycée l’a contacté pour un poste d’assistant, en lui précisant qu’il pourrait repasser un nouvel entretien pour le titre de professeur et il a évidemment accepté. Nous avons donc quitté le foyer et nous nous sommes installés dans la banlieue de Paris. Anh fut inscrite à l’école primaire, proche de notre appartement. Quant à moi, après avoir assuré à mon père que moi aussi, je pouvais travailler et ramener de l’argent, il m’a quand même inscrite au lycée dans lequel il allait exercer son métier. “ Hay học thì sang Hay làm thì có.” “ À force d’étudier, on parvient aux honneurs. À force de travailler, on parvient à la fortune ”. Ça m’énerve quand il me répète ça mais je me contente d’acquiescer. Ce n’est pas devenu facile après avoir perdu mère, j’aurais souhaité qu’elle soit encore avec nous pour qu’on s’échappe tous ensemble, mais père redouble d’efforts pour nous permettre une nouvelle vie alors il faut faire aussi des efforts.

                Quatre mois après ces événements nous avons donc pu facilement s’intégrer dans ce nouveau pays, je me suis faîte des amis et l’une d’elle m’a un jour félicitée sur nos non-revendications identitaires. Je ne voyais pas au début de quoi elle parlait alors elle m’expliqua qu’elle pensait juste que les vietnamiens s’intègrent facilement. Je lui ai alors répondu : “nhâp gia tuy tuc : quand tu entres dans une maison, suis ses coutumes” elle est restée bouche bée tandis que j’étais hilare face à sa réaction. Je m’en suis mordue les doigts car j’avais oublié la promesse faite à père, mais elle, elle aimait bien quand je parlais ma langue maternelle, alors elle n’allait certainement pas le dire à père. Tu sais, je suis allée avec elle (elle s’appelle Isabelle mais je l’appelle Isa’) et un garçon nommé Jérôme (qui serait, crois-moi, ton type idéal) au cinéma. C’était le jour de mon anniversaire, j’étais aux anges, Jérôme nous avait offert nos places de cinéma, nous sommes allés voir un film s’intitulant Voyage au bout de l’enfer, un film de Michael Cimino, un américain, c’est un non-film de guerre, qui traite des ravages sur les hommes de la guerre du Vietnam, des ravages pas seulement physiques. Certains passages étaient très clichés et cela m’a dérangée. Quand je l’ai dit à Jérôme, il s’en est excusé, il ne savait même pas de quoi ce film traitait avant de nous emmener, on a rigolé face à son laisser- aller, et nous n’en parlons plus. Isa’, elle, m’avait offert un livre de mon nouvel auteur favori, Georges Perec, il s’intitule La disparition. Ce livre n’est pas récent car il a été publié en 1969, mais son titre m’interpellait et j ‘ai dit à Isa’ que j’avais hâte d’être à dimanche pour pouvoir le lire. J’avais découvert Georges Perec avec son roman Les Choses, ce livre avait gagné le prix Renaudot lors de l’année de sa parution, en 1965. Je cherchais, au moment de son achat, des lectures populaires en France et non pas ce livre qui datait de quatorze ans ! J’ignore si la vendeuse qui me l’a conseillé était allée jusqu’à fouiller dans les placards pour se moquer de moi, mais il est vraiment bien !

                J’étudie dans un lycée catholique, ce qui veut dire que chaque lundi, nous avons la messe le matin. Je ne devrais probablement pas te dire cela, mais pour ne pas me sentir exclue lorsque tout les élèves prient Jésus eh bien je le prie aussi, et le soir quand je rentre à la maison et que je vois père prier Bouddha, eh bien je me mets à genoux et je prie Bouddha ! Ridicule je sais, mais que veux-tu.

                Mais malgré le fait que nous soyons en partie intégrés dans notre nouvelle vie ici en France, je reste tout de même Vietnamienne, je ne l’oublierai jamais et je ferais en sorte que mes enfants et petits-enfants le sachent eux aussi, car je pense que c’est important de savoir d’où nous venons. Je me suis déjà posée la question, est-ce que je suis plus vietnamienne ou est-ce qu’à présent je dois plus être française ? Mais pour moi ça ne veut rien dire, je suis qui je suis à présent et je ne devrais pas être poussée par certaines personnes à choisir un camp. Lorsque l’on me demande « Es-tu plus l’un ou l’autre, j’avoue ne pas savoir quoi leur répondre. Pour moi, cette différence est une chance, et avec le temps, j’apprendrais à l’accepter et l’assumer entièrement. Car avec la connaissance de deux cultures, nous sommes moins enclins à penser d’une seule manière et cela caractérise une ouverture d’esprit. Ma culture française m’a permis de développer mon esprit critique et mon goût pour les arts, tandis que ma culture vietnamienne m’a appris la piété envers mes ancêtres et le travail acharné.

                Si certains pensent que la différence est quelque chose qui empêche les gens de vivre ensemble, eh bien c’est faux, ce qui nous empêche de vivre en paix, c’est l’imbécillité et l’infantilisme de leur intolérance. La tolérance, au contraire, est la reconnaissance de l’autre, elle symbolise l’acceptation. Nos différences ne nous séparent pas, mais nous unit, que serait le jaune sans le bleu ou bien le rouge sans le vert ?  Voir au-delà de nos apparences nous permettrait d’éviter tout conflits ou combats divisant l’humanité.

J’ignore si cette lettre te parviendra mais je te promets de prier autant de dieux aussi nécessaires que possible pour que tu puisses un jour la lire. J »aimerais que tu nous rejoignes, chaque jour passant, ta présence à mes côtés me manque. Me rejoindras tu une fois tes études terminées ? Ta famille ne songe-t-elle pas à partir ? En attendant ta réponse, je t’embrasse.

Mes amitiés,

Nguyet Anh

Sarah B, 1L1