Bakhit, du Soudan à la Grande-Bretagne

Londres, le 15/10/2017
À mon cher Neeraj,

Je t’écris pour tenter de retrouver un lien avec toi et le Soudan en même temps. Je voulais t’informer que depuis mon départ, il a maintenant vingt-sept mois, j’ai passé vingt-deux d’entre eux sur les « routes ». En effet, comme tu l’auras compris, cela fait cinq mois que j’ai mis mes pieds sur Terre Anglaise. Le voyage a été épouvantable, affreux, traumatisant. J’ai failli partir lors du passage du désert. En Italie, je me suis fait traiter d’une façon telle qu’on n’oserait pas traiter un animal de la sorte. Ensuite ; je suis resté bloqué dans la « jungle » de Calais pendant sept monstrueux mois. Un moment interminable et terrifiant !
Passons ; outre le voyage macabre, que j’essaye en vain d’oublier, du moins une partie. Depuis mon arrivé à Londres, très belle ville d’ailleurs, je ressens moins le regard raciste ou méfiant qu’en Italie ou en France par exemple j’ai pu recevoir. Certes, cet horrible regard n’est plus ou presque plus présent, mais ce n’est pas pour autant que la vie est facile ici pour un étranger.
Cependant, cette ville ne m’a pas proposé que du négatif. En effet, il y a quelques mois un petit bonhomme du nom de Cody est venu me poser quelques questions ; car je dormais face à son école. Il était rempli de questions à mon propos. Qui j’étais, qu’est-ce que je faisais là, pourquoi je ne dormais pas dans un lit dans une maison, pourquoi mon apparence était différente de la sienne ou celles des Anglais… Il n’avait pas ce regard méchant ou de jugement comme ceux que j’avais aperçus auparavant. Non ce gamin ressemblait à ceux par chez nous, tu sais, ceux qui sont en questionnement à longueur de journée, qui sont ignorants et naïfs… Alors que ses copains me regardaient d’une façon hautaine et m’insultaient ouvertement sans même se demander si je comprenais leur langue ou non. Le petit Cody est venu créer sa propre opinion de moi en venant me parler. Ce qui m’a fait un grand plaisir, t’imagines bien ; que quelqu’un s’intéresse à toi après des mois de survie en solitaire… Cody était bouleversé à l’idée de penser qu’on puisse laisser de hommes mourir de faim, de fatigue… Ou simplement qu’on puisse fuir son pays d’origine pour au final se retrouver à dormir devant la Westminster Academy. Quelques jours plus tard, et peut-être grâce à ce bambin, je commençais enfin à voir la fin du tunnel effroyable de l’immigration que je parcourais depuis deux ans maintenant, en sachant tout de même que je n’en sortirais jamais.
En cinq mois, j’avais subi la discrimination, j’avais subi la non-écoute, j’avais subi l’inégalité… Entre l’attente des papiers (je suis toujours dans l’attente), le regard des Anglais et même celui des touristes qui me voyaient comme un étranger, une personne différente qui n’a rien à faire ici, alors qu’eux même sont des étrangers, eux-mêmes ne sont pas sur leur territoire… Mais, mon Neeraj, tu sais, même si j’ai frôlé la mort à maintes reprises, et que je vis dans l’insécurité, la misère et l’incertitude. Et que bien évidemment, mes amis, comme toi, ou ma famille, mon petit frère Nilay me manquent plus que tout… Je pense ne jamais regretter le fait d’avoir quitté le Pays et la crise au Darfour…

Mon ami, de là ou tu es, tu ne vois qu’une partie de la haine dans ce monde cruel. Une fois sorti de son pays d’origine, un migrant est tout de suite vu différemment. Et je trouve ça injuste, inhumain ! Moi, je suis et serais sûrement persécuté à vie, je ne vivrais jamais normalement, je ne serais jamais totalement heureux. Sauf que moi, je suis maintenant âgé de vingt-six ans, je m’y suis fait, j’ai la maturité pour essayer d’accepter. Mais les enfants de dix ans ou moins qui quittent leur pays, c’est affreux abominable !
Je pense que nous, migrants, devrions être reconnus pour ce que nous sommes, C’est-à-dire : courageux et motivés. C’est vrai, je ne pense pas qu’un Français ou un Italien ou même un Anglais… Enfin ceux qui nous jugent, nous discriminent et ne nous respectent pas, soient capables de faire ce que l’on a accompli. C’est-à-dire passer vingt-sept mois par exemple dans le désert, avec des passeurs, ou sur des bateaux dans d’horribles conditions de vie, et avec un risque de mortalité touchant les quatre-vingt-dix pourcents, en ayant un seul but, survire, pour atterrir dans l’inconnu afin de se reconstruire. D’ailleurs le roman Sur le Mont Gourougou sorti en septembre 2017 de Juan Tomas et Avila Laurel par Asphalte nous illustre bien cette motivation et ce courage lorsqu’ils écrivent : « Ils devaient agir comme s’ils étaient réellement fous, ne pas avoir honte de quémander à manger, et le faire dans une langue inconnue, oublier toute inhibition pour affronter la réalité ».
Je considère également que nous, migrants, ne devrions pas être jugés comme des moins que rien, comme des inférieurs, ou des animaux ! Je considère que par notre expérience de vie, notre vécu, notre voyage exécrable, nous avons plus de choses à raconter, plus de connaissances sur la vie en général. Or, les persécuteurs, à part l’éducation écolière, ne connait en général rien à la vie terrestre, rien aux autres peuples, rien à la pauvreté, la misère et la maladie… Ce ne sont que des ignorants.
Je plaide en faveur des migrants également pour la tolérance qu’ont ceux-ci. En effet, il est vrai qu’ils n’ont jamais fait de mal à personne, s’ils sont parfois violents c’est car ils sont à bout, mais il est vrai aussi, qu’il n’y a pas que les migrants qui peuvent être violents, et ils sont une minorité. Je pense aussi que nous, migrants, sommes relativement plus respectueux que ces ignorants. En effet, il y a des groupes « anti-migrants », comme nous le présente très bien Bansky en octobre 2014 avec son graffiti « Birds ». Il expose cinq oiseaux persécutant un sixième oiseau diffèrent racialement avec des pancartes lui disant très clairement de « retourner en Afrique ». Une affreuseté qu’un migrant ne serait qu’incapable de commettre. Je pense qu’il faut se reposer la question, qui est le « méchant » dans l’histoire, le migrant ou l’autre ?

À très bientôt, je l’espère. Que ta situation s’arrange.

Bakhit

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