Farid, d’Irak à la France

Farid SADKI
254 Rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris, FRANCE

à

Marwa SADKI
624 Muasker Al Rashid Street
Bagdad, IRAK

Automne 2006
Mon amour,

Que je suis heureux aujourd’hui de t’écrire cette lettre ! Elle me donne l’impression d’être près de toi. Cependant, notre séparation m’est insoutenable et je ne peux plus vivre comme ça, vivre comme un lâche. L’horrible sentiment que je ressens d’avoir déserté mon pays, de vous avoir abandonnés, toi, les enfants, nos amis, m’oppresse de plus en plus. J’en ai assez de ne plus te voir, de n’avoir de tes nouvelles que tous les mois. J’ai de plus en plus de mal à m’endormir tellement je pense à toi et aux enfants. Je ne me fais pas à l’idée que vous risquez votre vie chaque jour en vivant dans notre pays, enfin ce qu’il en reste…
A la radio, à la télévision, dans le journal, notre pays est si dénigré par les journalistes, ces vautours affamés de vérité que je commence à croire que ce qu’ils racontent est vrai. Je vois des familles tellement ravagées par la guerre que subit notre si beau pays que je ne peux rester une seconde de plus loin de vous.

Durant ce périple pour atteindre la France, j’ai vu beaucoup d’horreur. De voiture en voiture j’ai accédé à la Turquie où j’ai pu embarquer sur un bateau de pêche pour rejoindre la Grèce. La météo était horrible, la mer était si agitée j’ai cru que nous y allons y passer. De là, du port de la Pirée nous avons marché, moi ainsi que 150 Irakiens et Syriens pour atteindre la Macédoine. Puis nous nous sommes dirigés vers le nord, le long des voies de fer pour atteindre la Serbie où enfin nous avons été accueillis : moi dans une famille de Belgrade, où vivait un jeune couple, Emil et Aleksandra. Un van est venu nous chercher pour nous déposer en Hongrie, nous n’étions plus que 30, beaucoup avais déjà trouvé asile dans les pays traversés.
Notre séjour en Autriche n’a pas duré longtemps, nous avions hâte d’arriver en Allemagne. Un train nous y a conduits directement : au camp d’accueil des réfugiés à Wesseling où j’ai été aussitôt pris en charge et soigné pour mes douleurs d’estomac qui persistent depuis mon départ d’Irak. Dans ce camp j’ai pu voir de nombreuses personnes dévastées, bouleversées et sous le choc de tous ce qui leurs était arrivé. J’y ai rencontré un homme qui m’a raconté qu’il venait d’Afghanistan. Il avait fui la guerre et perdu toute sa famille, il y a 3 ans déjà. Son histoire ma beaucoup touché. Deux semaines après j’ai été transféré en France pour bénéficier de soins complémentaires. Je me trouve actuellement, à l’heure où je t’écris cette lettre dans un centre pour réfugiés à Paris.

Au premier contact les Français m’ont semblé gentils mais je vois bien que là plupart ne sont pas à l’aise à l’idée d’avoir une personne d’une autre couleur de peau, d’une autre religion et culture différentes de la leur dans leur entourage. Quand je me ballade dans les rues je sens les regards méprisants ou de pitié se poser sur moi. Cela me gêne. Ainsi quand je me présente devant un guichet de l’immigration je dois attendre et subir des regards insistants qui me font comprendre que je ne suis pas le bienvenu. Ils devraient être plus ouverts à l’inconnu cela leur donnerait un peu d’humanité. Je parle des Français mais c’est le monde entier qui est renfermé sur le sujet de la différence. Au niveau religieux il est parfois difficile en tant que musulman d’accomplir nos prières quotidiennes car il n’est pas toujours facile de trouver un lieu adéquat et d’être seul. Dans un autre domaine je dois subir parfois un régime alimentaire qui ne me convient pas : du porc nous est servi deux fois par semaine à notre grand dépit. J’ai vu beaucoup de femmes portant le hijab subir dans la rues ou dans les magasins des regards insistants. Ici, étonnement les femmes affichent une liberté physique : avec leurs tenues vestimentaires, leur maquillage, leurs tatouages. Elles vivent également différemment, elles exercent un métier, conduisent des voitures, dirigent des entreprises tout comme les hommes. Il est vrai que la différence est aujourd’hui dans ce monde la pomme de la discorde. L’inconnu fait peur et fera toujours peur, le peuple est maintenu dans l’ignorance et les préjugés, nous vivons les uns à côtés des autres sans vraiment nous connaître. Nous devons apprendre à aller au-delà de nos différences, il faut inspirer l’envie d’aller vers l’autre, découvrir que tous les stéréotypes donnés sont sûrement faux au final, découvrir par soi-même que l’autre est également un homme avec des principes, des valeurs.
J’ai lu lors de recherches sur internet d’un Groupe Libre Théologie de la Maison Verte, un passage qui disait « Il est difficile d’aller vers l’autre. Pourtant la rencontre permet d’évoluer et les différences sont sources d’enrichissement. Cette évolution ne signifie pas l’uniformisation, ne supprime pas la diversité mais l’ouverture à l’autre n’est pas possible sans la structure claire ni sans règle du jeu. » et je suis d’accord avec cela. Nos enfants seront, je l’espère conscients de tout cela et ne ferons pas partie de la part de société à la mentalité réduite et aveugle sur ce qui nous entoure.

Chaque jour je pleure. En France, la vie n’est pas la même que chez nous. Elle n’est pas aussi joyeuse. Ma vie y est monotone, sans famille, sans amis ; que je me sens seul ! Je suis si malheureux en France, à un point que tu n’imagines pas. Je m’inquiète tellement pour nos enfants. A la maison comment la vie de famille se déroule-t-elle ? Je suis sûr qu’ils ne sont plus insolents, qu’ils débarrassent la table, enfin toutes les taches que doivent faire nos magnifiques enfants pour leur si gentille maman. J’espère que notre petite Leila, arrive à faire ses devoirs de mathématiques et que le grand garçon qu’est devenu Samir se conduit bien à l’école.
Toute notre vie de famille me manque. Le malheur que j’éprouve ici, l’inquiétude que j’ai pour vous, la honte que je ressens à chaque fois que je repense à mon pays et à vous me convainquent que je prends la bonne décision en décidant de rentrer au pays. Même si mes douleurs d’estomac me conseilleraient de rester en France pour me faire soigner, je n’y tiens pas. Je préfère mourir à vos côtés en Irak, que d’apprendre dans le journal national que vous avez disparu seuls.

Dès la réception de ta prochaine lettre, si ton cœur se réjouit autant que le mien de nos retrouvailles, je rentrerai au pays. Mais si la raison te pousse à me faire rester dans ce pays où la tristesse et la honte se sont emparés de moi je t’écouterai. Je t’écouterai car tu es la personne la plus sage, la plus intelligente et que tu as toujours ce qui était le meilleur pour nous, je suis donc sûr que la décision que tu prendras sera la bonne pour toi, les enfants et moi-même.

Je pense fort à toi.
Ton homme qui t’aime, Farid

Céline D., 1L1

Sources consultées :

Sources :

*Wikipédia = https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_guerres_contemporaines

* https://fr.wikipedia.org/wiki/Immigration

* Le Monde = http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/09/25/l-etat-va-ouvrir-des-centres-de-pre-accueil-pour-les-migrants-en-ile-de-france_5191284_1654200.html

*  Malteser International = http://www.malteser-international.org/fr/qui-sommes-nous/services/actualites/news-detail/une-histoire-derriere-chaque-refugie-le-manteau-du-grand-pere.html

* Toupie = http://www.toupie.org/Dictionnaire/Altruisme.htm

*Bladi = https://www.bladi.info/threads/sources-conflit.16032/

* Persée= http://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2002_num_73_1_2354

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