Mme et Mr Abdilam
114 rue Krim Belkacem
1600 Alger Le 18 novembre 1962,
Chère famille,
Je vous écris cette lettre tout d’abord pour vous raconter ma situation quand je suis arrivée en France et mes nombreux ressentis. Sachez que vous me manquez beaucoup, mais j’essaye de compenser ce vide par les petits clichés que j’ai emmenés de vous, toujours blottis dans ma poche usée. Je ne vous cache pas que le voyage a été très dur et éprouvant, malgré que je ne suis pas la plus faible de mon groupe. Je ne dormais presque jamais à cause du froid polaire ou de la chaleur qui me donnait mal à la tête. Mes muscles étaient engourdis à cause des sacs lourds que nous portions tant bien que mal à tour de rôle. Pour aller en France, nous devions prendre un bateau, tâche assez complexe, nous en avons volés, certains passants nous ont regardés interloqués mais sans réagir. Puis, une fois arrivés, le premier mois, nous sommes allés d’auberges en auberges, l’endroit où j’ai le mieux dormi était sur un lit de paille, avec l’odeur des cochons qui nous embaumaient. Si mes souvenirs sont bons, on était dans la ville de Montpellier, et nous nous sommes dirigés vers la capitale où apparemment les gens étaient plus tolérants, ou j’en avais entendu grand bien au niveau des associations pour les migrants.
Mais parlons maintenant de mon expérience car je pense que vous devez être excités à l’idée de savoir comment cela s’est passé. Donc nous nous sommes installés, et comme vous devez sûrement le savoir, les accords d’Évian ont été signés le 18 mars. Je suis arrivée en France courant mai, cependant j’en avais entendu beaucoup parlé, j’espère que tout va bien pour vous, j’ai hâte de recevoir de vos nouvelles.
A notre arrivée à Paris nous nous sommes divisés en groupe de 2 pour aller chacun de notre côté. J’étais avec un garçon que je ne connaissais pas beaucoup, durant notre expédition pas grand monde ne se parlaient et je restais assez en retrait. Donc cet homme s’appelait Hakim, nous nous sommes dirigés vers une association « UNHCR », qui nous a accueillis à bras ouverts. Au bout d’un ou deux mois tout le monde prenait ses repères et des groupes se sont formés. Hakim m’a annoncé qu’il partait car il ne se sentait pas à sa place, je suis donc restée seule. J’ai appris la manière de vivre, acheter de nouveaux habits et apprendre quelques « coutumes » françaises comme sourire quand on dit bonjour tout ça… Après deux trois mois passés dans cette association, je décide de me débrouiller un peu par moi-même. J’allais voir dans des bars, ou des petits commerce histoire de trouver un petit travail, mais sans succès, n’ayant pas encore de papiers. Les gens étaient très méfiants encore vis-à-vis des migrants c’était assez impressionnant. J’ai cependant pu travailler dans une petite épicerie, pour avoir de quoi me nourrir et boire correctement. J’étais bien, le patron était gentil avec moi (c’était un algérien né en France) et il m’a beaucoup parler de comment se passait la vie en France quand tu n’es pas d’ici. Il a eu de nombreuses représailles et même encore aujourd’hui. Cela m’arrive aussi, je perçois des regards de travers ou curieux, ou encore des gens qui m’insultent ouvertement, soi-disant je pollue la France, je n’ai rien à faire là et je devrais retourner dans mon pays… Ou alors être esclave pour la France… Ça existe encore ?
Pour parler de l’apparence, Paris est très sale. IL y a beaucoup de gens pauvres avec une bière à la main, ou des gens qui nous sifflent quand des filles passent en jupe ou autre. Je trouve très joli les toits parisiens (fait en zinc), et les incontournables de la capitale : Musée du Louvre, Champs-Élysées, Tour Eiffel, Champs de Mars, notre Dame de Paris… Tout ça est magnifique malgré les ghettos et la cacophonie perpétuelle, mais c’est une ville très vivante et je suis contente d’y vivre.
Enfin, pour plus parler dans le détail, les gens commencent à s’améliorer. Dans l’épicerie, de nouveaux gens sont venus car j’étais une migrante et s’intéressaient à mon histoire et à ma vie. D’autres au contraire, sont apparemment partis, choqués que je sois embauchée ou même que j’ai pu rentrer en France, les critiques habituelles… Il faut bien s’y adapter. Parlons de maintenant, j’ai un groupe d’amis avec qui je m’entends très bien. D’ailleurs l’un d’eux est aussi un migrant, Paul, il est né en Pologne mais a décidé de venir à Paris pour faire de grandes études de droit, où il a rencontré sa copine. Il a réussi là où d’autres ont échoué et il est très respecté, c’est un peu mon modèle, vous comprenez ? Même si vous êtes les plus beaux des exemples, ma chère famille… Et donc, j’arrive bien à me débrouiller, même si des fois c’est un peu dur sur les fins de mois j’arrive toujours à m’en sortir.
J’espère que je vous ai rassuré, je l’ai fait comme j’ai pu et tout ça est une merveilleuse expérience.
Lise A., 1L1