Bonjour maman,
J’espère que tu vas bien. Je t’envoie cette lettre depuis les États-Unis, de New York, où je suis depuis quelques mois déjà. Tu dois te demander ce que je fais là-bas, et non plus au Bengladesh. Ces derniers mois ont été très difficiles, c’est pour cela que je n’ai pas donné de nouvelles.
Le 12 mai dernier, j’ai quitté le pays après avoir reçu plusieurs actes dérangeants, j’ai été victime de racisme donc de discrimination.
Dès mon plus jeune âge, comme tu le sais, j’ai toujours été gênée du fait d’être blanche dans un pays où les habitants sont noirs. Après ton départ en France, par urgence pour des raisons de santé, il y a deux ans, je me suis dit que je devais me battre pour rester en vie le plus longtemps possible pour toi. Pendant plusieurs mois, tout allait bien, mais quand sont apparus les premiers signes de chaleur, je me suis dit que les Bengalis (habitants du Bengladesh) devaient m’accepter telle que je suis, comme ils t’acceptaient toi. Alors, j’ai décidé de mettre la robe que tu m’as offerte avant ton départ. Tu m‘avais dit de la mettre une fois que je me serais sentie une vraie femme. Pour moi le moment était venu. Comme depuis plusieurs mois, je vivais et me battais seule. J’étais si heureuse et si fière de porter enfin cette robe, mais j’ignorais complètement les conséquences que je pouvais avoir. La première fois que je l’ai portée, les gens dans les rues restaient me dévisager, même mes amis. Je pensais qu’ils me jugeaient parce que c’était rare de voir des filles en robe au mois de mars, alors je n’y prêtais pas d’attention. Quelques jours après je l’ai remise, et c’était différent. Cette fois ci ce n’était pas seulement des regards de travers, c’était bien plus. Quand je suis passée près du café où on allait régulièrement le samedi après-midi, trois hommes m’ont abordée. Le premier m’a insultée et les deux autres m’ont attrapée et m’ont jetée au sol, me donnaient des coups. J’essayais de me débattre autant que je pouvais, j’appelais à l’aide, mais rien à faire, ils continuaient de plus en plus fort, et les passants restaient me juger. L’acte a duré seulement quelques minutes, mais j’avais l’impression que ça durait des heures ! Malheureusement, les jours suivants, même si je sortais couverte, les Bengalis, savaient ma véritable couleur de peau. Si je franchissais un pas en dehors de la maison, j’étais critiquée, frappée, abimée physiquement et psychologiquement. Ces scénarios ont duré plusieurs mois, et comme ça ne s’arrêtait pas mais s’empirait, j’ai décidé de partir du pays le plus vite possible en direction des États-Unis, qui était pour moi un pays inconnu. J’ai laissé derrière moi, une grande partie de mes affaires. J’ai gardé ta robe et mes séquelles.
J’ai donc quitté le Bengladesh sur un coup de tête un matin aux aurores. J’ai sauté dans le premier avion direction l’Amérique ! Mon cœur était lourd et mes pensées ailleurs. Ma seule hâte était de recommencer ma vie. Mais je savais qu’au début ça allait être difficile, comme j’avais un profil de réfugiée. Au final, deux semaines après mon arrivée, je dormais dans un refuge pour les sans abris à New York. Les journées, je courais les rues à la recherche d’un petit boulot, afin d’avoir un salaire pour me nourrir et pour m’acheter un petit appartement.
Les premières semaines j’étais un peu perdue et seule. La vile est très grande, les habitants courent partout et je ne connaissais encore personne. J’aime tellement New York et l’Amérique en général, c’est magique ! J’avoue, je me suis souvent perdue, mais j’aimais bien cette sensation de ne pas savoir de quoi m’attendait l’heure qui suivait. Le week-end, je partais à la découverte de la ville. Souvent sur mon passage je croisais des gens, très accueillants, qui, me voyant en difficulté, m’abordaient très poliment et me proposaient de l’aide. Pour la majorité, je refusais, mais je remerciais la personne.
Sauf mardi dernier. Un jeune homme, au yeux verts, cheveux bruns et plutôt grand, m’a offert un verre. Je ne pouvais pas refuser, sur le coup, j’avais trop soif ! La dernière fois que je suis rentrée dans un bar, c’était pour me faire agresser, alors cette fois ci, j’étais un peu stressée d’être seule avec un inconnu. Mais bizarrement ou pas, je ne sais pas, c’était génial ! J’ai appris à le connaître, il s’appelle Taylor, il a 27ans, c’est un ancien refugié et il a un enfant de 3 ans, Alexandro, avec son ex-femme, Maria, décédée quelques jours après son accouchement. On a échangé sur nos différentes vies, et on se ressemble sur beaucoup de points. Depuis cette rencontre, il y a environ deux mois, on s’est mis ensemble et je suis, à l’heure actuelle, très heureuse, et Alexandro, est l’enfant le plus mignon, il est heureux d’avoir enfin une maman.
Plus les semaines passent, plus je suis heureuse. Je ne pensais pas que c’était possible après tout mon vécu, d’être de nouveau heureuse. J’ai découvert des personnes géniales, des paysages magnifiques.
Aujourd’hui, quand je t’écris cette lettre, j’ai un logement avec Taylor et Alexandro à New York. J’ai réussi à décrocher un petit boulot, je travaille avec les personnes âgées. Tous les jours, je découvre chaque recoin de l’Amérique, et les quartiers mythiques de New York, comme le Bronx, Brooklyn, Manhattan là où on a notre appartement. Tout va bien, sauf que tu me manques énormément. Quand j’aurais plus de moyens, dans quelques mois, promis, je viendrais te voir à Paris avec les garçons ! Ils sont géniaux tu verras !
A bientôt maman, je t’aime. Comme on dit en Amérique, Xoxo.
Joanne
Julie C, 1L1